L'Art Urbain, une reconnaissance longue mais indéniable
Daniel Marciaro • Posté le 9 octobre 2021
Pour Jacques Villeglé, le Street Art n'est pas “un métier de moines”, être artiste urbain et interagir dans la ville ne signifie pas “faire vœu de pauvreté”. L'idée reçue selon laquelle un artiste urbain ne pourrait sortir de sa pratique de rue pour un travail d'atelier sur toile par crainte d'être mal perçu n'est plu, pour preuve les nombreux événements et autres initiatives mettant en avant ce mouvement. Retour sur une reconnaissance progressive et historique de ce que nous pouvons aujourd'hui appeler Art Urbain.
Une structuration rapide au début
Le travail d'atelier des artistes issus du Graffiti est concomitant avec son déploiement à New York, dès le début des années 1970. L'exposition “Floor to Ceiling” organisée en 1972 au City College de New York par Hugo Martinez fait ainsi office de premier événement institutionnalisé du Graffiti. Si le projet de l'UGA (United Graffiti Artists) mis en place par ce dernier s'achève sur un certain constat d'échec à l'époque, il permet néanmoins une véritable prise de conscience de ses acteurs quant à leur capacité à travailler en atelier et transposer leur art sur toile. Surtout, il permet ensuite la tenue d'une grande exposition à la Razor Gallery en 1973, en plein quartier de Soho où les premières photographies d'Henry Chalfant ou Martha Cooper seront exposées. Cette incursion dans le milieu branché de New York, symbolisée par la relation amicale tissée entre Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, ouvre la voie à des galeries telles que la Fun Gallery, fondée en 1981 par Patti Astor. La galerie verra passer des artistes qui sont aujourd'hui incontournables tels que Keith Haring, Kenny Scharf, Futura 2000, Dondi White, Sharp ou encore Lady Pink. Preuve d'un engouement réel pour le Graffiti dès le début des années 1980, la Fashion Moda Gallery est même invitée en 1982 à la Documenta 7 de Kassel et y présente les artistes Jenny Holzer, Keith Haring ou encore l'artiste pionnier Lee Quiñones.
Un ancrage lent mais pérenne
En Europe, le mouvement se développe grâce à une poignée d'avant-gardistes. C'est notamment le cas de la galerie Thomas, à Munich, qui présente l'exposition "Classical American Graffiti Writers and High Graffiti Artists" en 1984 avec les œuvres d'artistes tels que Dondi White, Crash ou encore Rammellzee, alors références de la scène new-yorkaise. La même année, à Rome en Italie, est organisée l'exposition "Arte di Frontiera" par Francesca Alinovi. Mais le retentissement le plus important a lieu aux Pays-Bas, à travers la personnalité de Yaki Kornblit, qui œuvre à la sensibilisation du cadre artistique officiel et institutionnel pour les artistes issus du Graffiti. En France, l'arrivée sur le marché de l'art se fait également au travers des galeries. La première exposition Graffiti a ainsi lieu en 1989 grâce à la Galerie du Jour d'Agnès b., mais également la galerie Magda Danysz qui est créée en 1991, sans oublier l’engagement indéniable du collectionneur et galeriste Willem Speerstra qui exposera en premier les grands noms du Graffiti new-yorkais en France. L’engouement est cependant encore marginal jusqu'au tournant des années 2000, car c’est à cette période précise, que le mouvement connaît un essor sans précédent et que le marché du Graffiti et du Street Art commence se développer par l'intermédiaire des salles de vente aux enchères.
Un mouvement disruptif et populaire
Depuis les premières ventes aux enchères réalisées à partir de 2006, l'Art Urbain n'a cessé de se structurer de manière régulière. Porté par les figures de proue telles que Banksy, qui reste à ce jour le plus célèbre inconnu de la scène artistique, ou encore Obey, dont la carrière a explosé grâce à son affiche "Hope" pour l'investiture de Barack Obama, l'anglais Stik ou le français Invader. Certaines maisons de vente aux enchères telles qu’Artcurial ou Tajan se sont rapidement emparées du phénomène et proposent ainsi, depuis plus d’une dizaine d'années des ventes spécialisées, tandis qu'au niveau international, les mastodontes Christie's et Sotheby's ne se privent pas d'incorporer les pièces de ces figures tutélaires au sein de leurs ventes généralistes d'art contemporain. Ce développement s'est accompagné d'une percée de certains artistes dans les grandes galeries internationales, au-delà des galeries spécialisées. C'est le cas notamment de Brian Donnelly, plus connu sous le nom de Kaws, qui s'est longtemps développé au travers de la galerie Perrotin et qui constitue certainement, en-dehors de Banksy, l'artiste le plus côté du mouvement à l'heure actuelle. Cet état de fait met également en avant une reconnaissance issue d'un élargissement de son public, rendue possible grâce aux réseaux sociaux et au marché de l’art en ligne. Ceux-ci constituent une vitrine mondiale et populaire pour les artistes, tandis que certains développent leur image telle une marque, preuves en sont, au-delà d'œuvres souvent inatteignables, le développement de produits co-brandés ou d'objets en édition limitée.
Depuis plus de 50 ans, l'Art Urbain a ainsi opéré une mue sans équivoque, de son passé underground à son ancrage dans le milieu de l'art et de la pop culture. Multidimensionnel par essence, ce mouvement porte son influence tant dans les champs de la musique que de la mode ou de la danse. Signe de ce passage d'un art mineur à un art majeur, il s'affiche aujourd'hui quotidiennement au sein de notre environnement physique et digital. Toujours plus disruptif et innovant, le mouvement s'accompagne logiquement de nouveaux modèles de diffusion tels que les plateformes en ligne et autres sites spécialisés.
Découvrez notre article sur les ventes aux enchères d'Art Urbain