Une brève histoire de l'Art Urbain, du Graffiti au Street Art (1/3)
Stéphanie Pioda • Posté le 1 octobre 2021
Si la paternité du Street Art est partagée entre Philadelphie, New York et Paris, c'est qu’il y a eu d’un côté des villes qui ont été ébranlées par une crise économique suite à une forte désindustrialisation, et de l'autre, des villes qui ont été le théâtre de révoltes sociales. Prendre d'assaut les murs a bien souvent été un acte politique avant d’être un acte purement créatif.
Aux origines, il y a le Graffiti
“Cornbread, World's First Writer” revendique ce dernier qui, en 1965, tague son nom sur les murs de Philadelphie car c'est la seule solution pour attirer l'attention de Cynthia, trop timide pour lui déclarer son amour en direct. Une fois la belle conquise, il poursuit son aventure urbaine et place au-dessus de son tag une couronne, n'est-il pas tout simplement le “King of the Walls” comme il l'écrit alors? Un titre que beaucoup se disputent... L'enjeu est d'exister, d'apposer sa signature, son tag, sur les murs de la ville. Taki 183 la reproduira tellement que le New York Times lui consacrera un article entier en 1971, ce qui aura une répercussion énorme à l’époque. Les tags se multiplient sur les murs, mais aussi sur les bus, les camions et surtout les métros qui apparaissent comme le meilleur moyen d'être vu dans toute la ville et pas uniquement dans un seul quartier. Les graffitis de Seen, Dondi White ou Blade recouvrent les trains, font leur renommée et provoquent la colère des maires successifs de New York qui vont durcir la réglementation et les peines encourues pour ce qui est alors un acte de vandalisme. Pour autant, cela ne découragea pas Quik, Futura 2000, Phase 2, Stay High 149 ou encore John Fekner, qui continuera à écrire ses phrases au pochoir dans le Bronx.
L’influence de Keith Haring et J-M Basquiat
Pendant que les “Writers” matraquent leurs pseudos à New York, certaines galeries saisissent immédiatement la dimension artistique de ces interventions. En 1972, la Razor Gallery expose Phase 2, Snake, Stich 1. De leur côté, Keith Haring et Jean-Michel Basquiat s'emparent également des murs de la ville, mais optent pour une tout autre stratégie: ils visent les galeries d'East Village qui représentent les artistes contemporains les plus reconnus. Haring dessine à la craie dans le métro ses personnages-signature et Basquiat peint son acronyme SAMO© sur les murs juste à côté des galeries importantes. Et ça marche. En 1983, Sidney Janis – qui est alors le galeriste de l'Expressionnisme abstrait et du Pop Art – organise l’exposition “Post Graffiti”, avec A-one, Jean Michel-Basquiat, Crane, Crash, Daze, Futura 2000, Keith Haring, Lady Pink, Don Leicht, Noc 167, Rammellzee, Kenny Scharf, Toxic... Les grands noms de l'histoire du Graffiti américain. La machine est lancée, Warhol devient alors l'ange gardien de Basquiat et Haring, leur cote explose et ils vont acquérir une reconnaissance internationale dans le monde de l'art contemporain. Permettant ainsi à un art issu de la rue de trouver sa place auprès des plus grands collectionneurs.
Un versant plus politique en France
Au même moment en France, deux artistes se partagent la paternité du street art: Gérard Zlotykamien et Ernest Pignon-Ernest. Le premier commence dès 1963 à dessiner à la bombe ses silhouettes baptisées “les éphémères” sur le chantier du “trou des Halles” à Paris, en référence aux individus soufflés par la bombe atomique à Hiroshima, laissant pour seule trace une ombre au mur! Il dénonce tout en restant en dehors du système et du marché de l'art. Il préfère travailler sans contrainte, mais refuse de se définir comme un artiste anarchiste. “Je m'auto-engage, explique-t-il, je ne crée ni un dogme ni un système”. En 1966, Ernest Pignon-Ernest reprend la même idée de la silhouette brûlée par l'explosion nucléaire en la démultipliant au pochoir sur les routes et sur les rochers du plateau d'Albion dans le Vaucluse, réagissant ainsi au projet d'y enfouir des têtes nucléaires.
D'un mouvement pur et underground de “Writers”, qui soignent les lettres de leurs tags, inventent des styles, entretiennent les rivalités entre crews pour être le plus visible, marquent leur territoire et font parler d'eux, ainsi que des actes engagés d’artistes désireux de contester des faits et transmettre un message politique, la tendance va peu à peu s'ouvrir. Plus qu'un mouvement artistique, les débuts sont donc portés par le jeu, l'interdit, l’adrénaline mais aussi la contestation, le désir de porter un message qui va notamment devenir la marque de fabrique de certains.
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