Paris Tonkar, la réédition d’un livre culte sur le Graffiti parisien
Violaine Pondard • Posté le 17 juin 2024
En 1991, Paris Tonkar était publié aux Éditions Massot: le premier livre français et européen qui parle du mouvement Graffiti. Un ouvrage culte qui a influencé des générations de graffeurs en France. Les auteurs, Tarek Ben Yakhlef et Sylvain Doriath, observateurs et acteurs d’un mouvement graffiti naissant, en ont fait une photographie unique, positionnant cet art émergeant comme référence pour les artistes urbains en devenir. Après ce livre, Tarek Ben Yakhlef a quitté le monde du graffiti pendant deux décennies. Il s’est fait un nom dans la bande dessinée avant de renouer avec la peinture au début des années 2010, exposant aujourd’hui dans de nombreuses galeries dans le monde. Septembre 2024, il ressort Paris Tonkar. Entretien.
Quelle est la genèse de Paris Tonkar?
J’ai toujours voulu écrire des livres. Depuis tout petit, cela a toujours été mon ambition et ma vocation. Très jeune, j’ai aussi reçu, à mon anniversaire, un petit appareil photo Kodak. Je prenais des photos de ce que je trouvais bizarre ou étrange. Au milieu des années 1980, quand j’ai commencé à pratiquer le tag avec des copains, j’ai pris des photos de ce qu’on faisait ensemble, autour de chez moi. Et quand je suis tombé sur Subway Art, de Martha Cooper et Henry Chalfant (1984) et Spraycan Art, d’Henry Chalfant et James Prigoff (1987), deux livres de référence du graffiti new-yorkais et mondial, je me suis dit qu’il n’existait rien de la sorte en France. Le Graffiti est alors devenu un prétexte pour écrire mon premier livre. En 1986, l’idée avait commencé à germer et en 1987 je m’y suis vraiment mis. À partir de là, le projet est devenu obsessionnel. Je me suis acheté un nouvel appareil photo. Je suis allé partout dans Paris, en banlieue sud, en Seine-Saint-Denis, pour prendre en photo ce que je voyais. Sur la ligne B du RER, à Champigny-sur-Marne et tous les terrains vagues que je croisais... partout où il y avait un intérêt photographique!
Comment as-tu trouvé un éditeur?
J’avais contacté beaucoup de maisons d’éditions sans succès car la plupart voulaient récupérer le projet, mais sans moi, pour le refiler à une autre personne. La copine d’un graffeur m’a mis en relation avec son père qui était l’éditeur de Marval. Lui m’a véritablement conseillé et m’a mis sur la voie de Florent Massot, jeune éditeur indépendant prêt à prendre le risque de sortir un tel livre. Après avoir signé mon contrat d’édition, nous avons travaillé ensemble sur la construction du livre durant cinq mois, avec une pré-sélection des photos, puis encore deux mois pour composer sa maquette, rue des Cinq-Diamants à Paris où on nous avait prêté un local. Certaines photos sont antérieures à 1987. D’autres concernent des murs datant de 1984 et 1985 qui étaient encore visibles! Les graffitis réalisés sur le métro étaient davantage éphémères car nettoyés. Mais dans certaines friches, les murs n’étaient pas touchés pendant des années. Je n’ai jamais arrêté de prendre des photos car très tôt, j’avais déjà dans la tête l’idée de faire un tome 2 mais finalement une partie de mes photos ont été publiées dans le magazine 1Tox. Le livre Paris Tonkar est paru en novembre 1991 à 2’500 exemplaires. Moins d’un an après, le livre a été réimprimé à plus de 4’000 exemplaires.
Pendant cette période, comment considérais-tu le Graffiti? Te disais-tu qu’il s’agissait d’art?
À aucun moment nous nous sommes dit que c’était de l’art. D’ailleurs, un article de l’Événement du Jeudi à l’époque titrait “De l’art ou du cochon”. Tout le monde associait cela à de la dégradation, de la délinquance, aux gangs mais jamais à de l’art. Moi, je faisais du graffiti, je savais que ce n’était pas de l’art. Mais les grandes fresques que je voyais, qui mesuraient parfois dix mètres de long sur cinq à six mètres de haut, je les trouvais artistiques. C’était très puissant!
Quand le livre est publié, quel est son impact auprès du grand public?
Justement quand le livre sort, une partie de la population commence à comprendre qu’il y a quelque chose de plus consistant derrière le Graffiti. De l’art, des recherches esthétiques. Ce n’était pas qu’une bande de jeunes qui taguait le métro. Il y avait des graffeurs qui avaient une démarche artistique, qui s’inspiraient de références du graffiti new-yorkais et de muralistes. J’observe un début de changement à ce moment-là. Le livre obtient une belle presse, avec des articles dans Libération, Le Figaro, des reportages dans le 20 heures de Claude Sérillon, le JT de minuit d’Antenne 2. La presse parlait de notre livre comme d’un livre d’art et non comme un livre de sociologie sur des jeunes de banlieue désœuvrés. Il y a une prise de conscience à ce moment-là. Après les pages sur les tags et les blocs, le livre fait la part belle aux grands murs. À titre d’exemple, lors d’un procès pour dégradation, un avocat a même utilisé mon livre pour expliquer que son client était un artiste et non un délinquant! Le livre est devenu un marqueur historique de ce mouvement. Très tôt, certains en ont pris conscience. Moi non, car j’avais la tête ailleurs…
Quel est le regard que tu portes sur l’évolution du graffiti depuis 35 ans?
Si on m’avait dit dans les années 1990 qu’en faisant ce que je faisais je me serai retrouvé dans des galeries d’art contemporain, que je serai cité dans des livres d’histoire de l’art j’aurais eu un gros doute! Chose étonnante: le public a suivi bien plus vite le mouvement que l’institution. Ce qui arrive toujours dans les grands mouvements artistiques. Il y a les avant-gardistes qui essuient tous les coups, puis cela crée des vocations. Ensuite, le public et les critiques l’acceptent et le phénomène s’impose. Ce qui est le cas aujourd’hui: cet art fait désormais partie de notre environnement, à la fois artistique et architectural. Dans beaucoup de projets de mise en valeur de certains quartiers, on introduit la peinture murale. Les trompes l’œil existaient déjà, mais l’Art Urbain a apporté une nouvelle dynamique.
Le temps est venu de redécouvrir ces premières années du mouvement graffiti avec recul et justesse pour que tout un chacun s’immerge dans l’histoire de ce moment clé de l’Art Urbain, illégal et authentique, créatif et vandale mais toujours aussi vivace en 2024. (𝗧𝗮𝗿𝗲𝗸)
Épuisé depuis 1998, le livre culte Paris Tonkar est enfin réédité. Pour Tarek, cette réédition devient une opportunité pour les amateurs de graffiti de se procurer enfin cet ouvrage de référence. S’il continue d’exhumer ses archives de l’époque, Tarek réfléchit à donner une suite à Paris Tonkar, en abordant le mouvement sous un autre angle. Cette édition anniversaire, la même qu’en 1991, propose un avant-propos qui explique comment le livre s’est construit. La mise en page aérée offre la part belle aux photos et textes d’origine, conservant la tonalité des années 1990. Une prévente est proposée sur Kiss Kiss Bank Bank jusqu’à la fin du mois de juin. Le livre sera ensuite envoyé aux contributeurs dès la fin du mois d’août, et une sortie officielle en librairie est programmée pour le mois de septembre 2024.
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