Graffiti, Street Art, Muralisme... ou la pluralité des Arts Urbains
Violaine Pondard • Posté le 28 février 2023
Graffiti et Street Art ont toujours été deux branches bien distinctes de l’Art Urbain, le phénomène artistique du 21ème siècle. Mais si la frontière entre les deux est parfois poreuse, avec notamment des artistes qui passent aisément d’une discipline à l’autre, ces notions impliquent pourtant des pratiques, des esthétiques et des codes diffèrent. Avec comme point commun toutefois, l’acte de création majoritairement effectué sans autorisation dans l’espace public mais également l’appropriation de la rue et le caractère éphémère de l’œuvre. Pour autant, de ces interventions illicites et inscrites au sein d’une culture underground, s’affirme depuis une multitude de pratiques artistiques qui symbolisent la diversité de ce mouvement, à tel point que l’on peut aujourd’hui les qualifier d’Arts Urbains.
Il est plus que difficile de nommer explicitement le phénomène artistique des arts urbains et d’en faire une classification. Alors même qu’Art Urbain signifie en priorité que la création est citadine, qu’elle s’installe au cœur des villes, quand des œuvres se trouvent aussi en milieu rural, dans des petites et moyennes villes, voire des villages. Street Art et Graffiti sont aussi des termes réducteurs dans cette sémantique propre aux arts issus de la rue car les pratiques qu’ils évoquent ne peuvent à eux-seuls déterminer l’ensemble des disciplines. La question de la classification impliquerait ainsi de mettre chaque artiste dans des cases afin de proposer une compréhension du phénomène. Alors même que ces artistes aiment sortir du cadre et s’émanciper de toute hiérarchisation que l’on pourrait faire de leur travail. Pour autant, il est néanmoins possible de proposer une lecture des grandes tendances qui composent les Arts Urbains: le Graffiti-writing et le Post-graffiti, le Street Art et enfin le Néo-muralisme. La combinaison des techniques inhérentes à ces pratiques se retrouve également sous différentes formes grâce à un travail de recherche en atelier, et toutes ces disciplines peuvent à loisir, et suivant les affinités des artistes, se mélanger et interagir entre elles.
Du graffiti-writing…
À la fin des années 60, à New-York, des bandes rivales ont posé à la bombe aérosol des lettres, des mots, des noms sur les flancs du métro, sans autorisation. Les graffeurs ont inscrit leurs blazes, multiplié leurs signatures pour que du Nord au Sud de la ville, et d’Est en Ouest, on ne voit qu’eux. À cette époque, on ne parle pas encore d’art mais de vandalisme. Inscrits dans un mouvement de rébellion, émancipatoire vis-à-vis de l’autorité, les graffeurs ont développé leurs propres compétences et techniques en maniant le spray et d’autres outils qui leur permettait d’appliquer sur les murs leurs lettrages, leurs calligraphies et leurs B-Boys figuratifs. Ils partirent aussi en quête de friches pour disséquer cette forme d’écriture. Cet art de la lettre, le Graffiti-writing, qui s’est répandu ensuite en block letters, flops et autres chromes. Initié par un groupe, une communauté, le Graffiti est à ce stade devenu un véritable mouvement sociétal, politique et artistique. "Au milieu des années 1980, rien ne prédestine à ce qu’est devenu le graffiti aujourd’hui", reconnaît Tarek, auteur du premier ouvrage de référence en France, Paris Tonkar, publié en 1991. Et s’il a lui-même participé à "cartonner Paris", il s’est avant tout positionné comme un observateur de ce mouvement naissant, qui a vu des grandes signatures se révéler comme des artistes majeurs aujourd'hui, à l’image de JonOne en tant qu'exemple.
…au post-graffiti
Après les rames de métro, les graffeurs ont occupé en priorité les friches, les terrains vagues puis ils ont exploré les lieux abandonnés (urbex) pour éviter d’être intercepté par les forces de l’ordre. Ces lieux à l’écart de la foule urbaine les ont mis à l’abri. Et c’est au cœur de ces friches qu’ils ont alors eu la possibilité de prendre le temps de peaufiner leurs lettrages et qu’ils ont appris à s’en détacher pour tendre vers davantage d’abstraction. Ils ont joué avec la ligne et l’énergie du tracé, ces formes originelles et brutes issues du graffiti. En déconstruisant peu à peu les règles qui ont façonné le Graffiti, et l’aspect figuratif de leurs réalisations, les artistes ont ainsi développé une nouvelle tendance et ont renouvelé le genre. Quand leur travail, transposé sur toile a investi les galeries au début des années 80, le Graffiti est alors devenu du Post-graffiti. Les artistes s’appuyant notamment sur les drips, ces coulures qui descendent du mur, marques de fabrique d’un graffiti old school, qui ont pu être le symbole d’une certaine maladresse ou d’un manque d’expérience à l’époque. Ou encore les lights, ces effets de lumières qui donnent de la profondeur. De manière générale, le Post-graffiti aura ainsi permis d’aller plus loin que l’esthétique primaire du graffiti.
Le Street Art, la création non autorisée…
En parallèle de ce mouvement américain, d’autres formes d’expressions artistiques ont également pris possession de la rue, en France notamment. Comme les collages et les pochoirs, dont les premiers ont cherché à porter un message contestataire ou dénonciateur alors que les deuxièmes ont plutôt cherché à interagir avec les citadins. "Le terme Street Art ne permet pas d’expliquer la diversité de ce phénomène artistique", reconnaît Jef Aérosol, pour qui le premier pochoirs remonte à 1982. "Depuis 1963 et les premières silhouettes posées à la bombe par Gérard Zlotykamien, la création dans l’espace public est bien plus qu’une anecdote dans l’histoire de l’art. Nous n'en sommes encore qu’au stade de l’analyse et de la réflexion". Pour lui, évoquer une exposition de Street Art est un non-sens. "La sémantique rappelle justement que la création artistique est faite dans la rue et non dans un musée". Phénomène planétaire, le Street Art recense ainsi l’ensemble des créations investissant l’espace public. "Derrière le mot vandalisme, il y a l’idée d’une volonté de détérioration. Derrière le terme illégalité, on entend la désobéissance civique. Or, je ne me reconnais pas dans ces vocables", assure Jef Aérosol. Pour lui "Le Street Art s’inscrit davantage dans la notion de création sans autorisation, avec une orientation pacifique."
… aujourd’hui tolérée et soutenue
Si Jef Aérosol ressentait une certaine adrénaline à sortir la nuit pour poser ses pochoirs au début de sa carrière sans être vu, ni interpellé, aujourd’hui il peut le plus souvent agir librement en pleine journée, sans crainte. Ses créations ne visent pas à dégrader mais à embellir la grisaille urbaine. Ainsi, à l’instar des pochoirs signés Jef Aérosol, on retrouve aussi à la ville de nombreuses autres formes d’art: collages, mosaïques, installations, stickers, yarn bombing, détournement de mobiliers urbains... Des incursions artistiques qui deviennent de véritables points d’attractivité touristiques. Preuve de cette distinction faite entre le Graffiti et le Street Art: à l’approche des jeux olympiques de 2024, la ville de Paris a investi dans le nettoyage des flops et autres tags mais elle laisse pourtant vivre le Street Art… À ces disciplines s’ajoutent aussi les happenings et performances en live des artistes. "Mon premier public, ce sont les voisins de mes pochoirs. Et mon premier objectif, c’est de créer des émotions au plus de monde possible, et si possible à des gens qui ne sont pas de mon milieu", ponctue Jef Aérosol. Car susciter l’émotion, l’interrogation et le questionnement, demeurent une priorité absolue de la volonté d’expression dans l’espace public par les artistes.
Du muralisme mexicain…
Autre branche des Arts Urbains: le muralisme. Pratique qui puise son histoire dans le muralisme mexicain, cet art de peindre des pignons d’immeubles entiers qui se répand désormais à travers le monde. À l’origine, ce mouvement artistique s’est développé au cours du 20ème siècle à la suite de la révolution mexicaine de 1910. Porté par Diego Rivera, José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros principalement, il s’agissait alors de peindre sur des murs gigantesques une vision de l’Histoire pour la livrer au peuple. Une vision politique et forcément orientée, qui glorifiait la révolution et les classes sociales qui l’ont menée, comme les paysans et les prolétaires. Au travers d’œuvres monumentales réalisées dans un style artistique naïf, ces peintures étaient avant tout accessibles, même aux plus éloignés de la culture et les analphabètes. Cet art populaire, public et monumental s’est donc radicalement opposé aux œuvres uniques accrochées aux cimaises des musées et à l’art individualiste et élitiste. Politique et contestataire, ce mouvement s’est aussi retrouvé dans les années 1960 avec le mur de Berlin.
… au Néo-muralisme
Depuis, les artistes urbains se sont emparés de ce mouvement né en Amérique Latine et l’ont transcendé en un acte davantage esthétique que politique. Le Néo-muralisme est ainsi devenu en une dizaine d’années la grande tendance du phénomène des arts urbains. Sur les façades et les pignons, dans les quartiers ou dans les espaces péri-urbains, les immeubles se sont transformés en toiles monumentales, le plus souvent commanditées et financées par des institutionnels publics ou privés mais aussi les collectivités, bailleurs sociaux, promoteurs immobiliers et les entreprises. Ces œuvres au format XXL qui sont davantage pérennes ont investi le quotidien et créé de véritables musées à ciel ouvert, gratuits et ouverts à tous. Quel que soit son bagage culturel ou son appartenance sociale, cet art monumental s’offre à chacun, proposant ainsi une incontestable démocratisation de la culture et de l’art. Outil d’attractivité au service d’un territoire, le muralisme tient également une belle place dans les stratégies de communication et d’embellissement des villes. Avec à la clé, un aimant touristique indéniable, au vu des nombreux parcours Street Art organisés par les offices de tourisme. En quittant peu à peu son identité politique originelle, le muralisme vise aujourd’hui à ré-enchanter les villes, à créer l’événement et à maintenir le lien social.
De l’atelier à la galerie
Graffiti, pochoir, collage, installation, muralisme… toutes ces pratiques des Arts Urbains ont depuis trouvé leur place dans les galeries d’art et les plateformes de vente en ligne d’œuvres de Graffiti et de Street Art. Mais pour passer de la rue à la galerie, les artistes ont dû explorer et expérimenter leurs disciplines au sein de leurs propres ateliers. Passage obligé avant de pouvoir réinterpréter une œuvre urbaine sur toile ou en volume. A l’image de Reso, figure emblématique du graffiti hexagonal, qui pratique la bombe aérosol depuis 1992. "En atelier, je conserve l’essence du graffiti, incluant les contours noirs des lettres, la répétition des motifs façon pop art mais je travaille également la matière et les empreintes, je cherche à expérimenter d’autres supports", reconnaît-il. Certains jouent avec les techniques, les esthétiques et les outils inhérents au graffiti, tout en se laissant la possibilité de créer et de revenir plus tard sur leurs œuvres. Au caractère rapide de l’intervention est préférée la réflexion, pour une démarche encore plus aboutie. D’autres préfèrent jouer avec l’énergie et l’urgence, s’imposant des conditions proches de celles vécues lors de leurs premières incursions urbaines. Pour des œuvres qui revendiquent la culture dont ils sont issus, celle de la rue.
Une pluralité artistique accessible à tous
Graffiti-writing, post-graffiti, installations, collages, pochoirs, néo-muralisme… toutes ces pratiques artistiques se retrouvent désormais bien mieux représentées sous la bannière des "Arts Urbains". Ce phénomène artistique qui s’expose en galerie et dans les musées mais qui s’est également librement installé au regard du public, en ville, au cœur des friches ou dans les campagnes. Et si l’œuvre demeure bien souvent éphémère en raison du choix du support, soumis aux intempéries, aux démolitions ou au nettoyage, le travail en atelier offre la possibilité de retranscrire l’émotion et l’énergie de la création. Et de proposer une œuvre pérenne. Les galeries d’art et plateformes de ventes d’œuvres d’art en ligne, à l’instar d’Urbaneez, témoignent de la richesse de ces disciplines artistiques. Elles apportent, chez le grand public, un peu de cette culture émancipatoire et urbaine, tout en faisant la promotion de sa merveilleuse diversité.
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