Le CyKlop: Ma mission? Redonner de la fantaisie à nos rues!
Stéphanie Pioda • Posté le 6 janvier 2022
Initiés une nuit de 2007 dans un square du XIe arrondissement de Paris, les personnages créés par Le CyKlop ont été à l’origine comme un jeu. Depuis, l'artiste n’a jamais cessé de s’amuser, que ce soit dans la rue en détournant les panneaux de signalisation ou les poteaux anti-stationnement en cyclopes, personnages Lego et animaux divers, ou dans son atelier, en transformant ce mobilier urbain en objets de collection. Entre humour, générosité et facétie, rencontre avec le père des étranges CyKlops.
Votre nom renvoie à la mythologie grecque. Vous êtes-vous nourri du film “Ulysse” de 1954 ou du dessin animé “Ulysse 31”?
Ulysse 31 n'est clairement pas de ma génération, j'ai été beaucoup plus marqué par le film “Ulysse” de Mario Camerini sorti en 1954 avec Kirk Douglas et qui passait ensuite le dimanche soir à la télévision. D'ailleurs, dans une de mes expositions il y a une dizaine d'années, on pouvait visionner des extraits de films parlant de cyclopes, dont celui-ci. Mais je me souviens aussi d'un autre film qui m'a marqué, “L’Étrange Créature du Lac Noir” qui était le premier film en 3D diffusé à la télé française en 1982 et pour lequel les programmes TV distribuaient des lunettes polarisantes. Un vieux film tout pourri dans lequel on retrouve des monstres en carton pâte!
Il y a beaucoup d'humour et de clins d'œil dans votre travail et votre prise d'assaut de la rue. Cela fait-il partie de votre ADN?
Oui. Je trouve qu'il y a très peu de fantaisie dans la rue, surtout en Occident, même si certains projets se sont bien sûrs démarqués comme l'empaquetage du Pont-Neuf par Christo et Jeanne Claude dans les années 1980 ou tout récemment, celui de l'Arc de Triomphe. Les statues imposantes racontent l'Histoire de façon très solennelle, sauf peut-être celle de Goscinny tenant un petit Astérix dans sa main installée dans le XVIe arrondissement parisien. C'est pourquoi j'aime apporter un peu d'humour avec mes peintures de cyclope sur les poteaux. Souvent, les gens viennent me voir lorsque je peins dans la rue et me demandent à quoi ça sert, mais pour moi, la seule vraie raison est d'amener cette fantaisie et de faire rigoler les gens en leur faisant parfois reprendre conscience de cet espace public qui nous est commun! Gérard Zlotykamien – qui est un des des premiers à avoir peint avec une bombe dans les années 50 – m'a dit un jour en voyant les gens sortir du métro: “Tu rends les gens heureux!”
Pour le coup, c'est presque une mission de service public!
Peut-être! En tout cas, travailler dans la rue crée du lien social et le regard des gens sur le Street Art change beaucoup. Je prends toujours en compte ces temps de rencontres : en général je sais que j'ai besoin d'une heure pour peindre mes cyclopes, mais je prévois toujours au moins deux heures pour ces moments d'échanges, voire trois si on finit au bistrot d'en face! Dans la ville, il y a cette triangulation qui existe entre le domicile, le lieu du travail et celui de la consommation. Entre deux, l'espace public appartient à la fois à personne et à tout le monde, c'est pourquoi je prends plaisir à détourner ces poteaux anti-stationnement qui sont finalement assez moches quand on les regarde d’une manière générale.
Côté technique, faites-vous un lien entre la rue et l'atelier?
C'est la même chose, sauf que dans l'atelier c'est plus propre! Dans la rue, je ponce un peu le potelet et j’appose une sous-couche de blanc si je dois le peindre en jaune, car cette couleur très lumineuse n'est pas assez couvrante. Dans l'atelier, je ponce ces potelets que je récupère, les découpe, les baigne dans de l'acide, les traite avec une couche d'antirouille... Ils deviennent des œuvres à garder et à collectionner, avec un rendu d'objet manufacturé. Certaines personnes qui aiment mon travail sont dans cet esprit de collection et peuvent en acheter plusieurs de la même série, d'une même couleur parfois... Il y a de véritables maniaques! Au final il y a également une vraie diversité d’artistes parmi lesquels il faut réussir à faire sa place.
Et ces coulures qui sont depuis comme une signature, comment sont-elles apparues?
Je les ai développées au départ car il fallait travailler très vite dans la rue lorsque ce n'était pas vraiment autorisé ni toléré. J'ai imaginé ce pochoir qui donne l'impression que le poteau était en train d'être peint: il suffisait de le coller, de rajouter un peu de blanc et un coup de peinture sur le pochoir de l'œil, en deux minutes c'était fait. J'ai gardé ce principe en atelier mais de façon plus travaillée et plus élaborée. Lorsque je travaille les poteaux personnalises en L'égo par exemple, je prépare mes dessins sur ordinateur pour réaliser des pochoirs et pour les coulures, je les adapte en fonction du diamètre du poteau.
Pour finir, pouvez-vous nous parler de votre dernier projet?
J'ai été lauréat d'un appel à projet de la Ville de Paris pour le XVIIe arrondissement, passage Saint-Ange, près de la porte de Saint-Ouen. L'installation, que j'ai appelée “Mystère et boules de gomme ou les 100 yeux d'Argos”, a été finalisée en octobre dernier et sera en place pendant quatre ans. Au sol, les couleurs primaires évoquent l'univers du jouet et transforment la rue en un immense plateau de jeu sur lequel j'ai posé vingt gros yeux en granulat de caoutchouc recyclé sur lesquels il est possible de s'assoir, de sauter dessus... Je n'aime pas les œuvres contemplatives, au contraire, il faut que le public puisse les toucher ou jouer avec. Concernant le nom de l'installation, il renvoie à la mythologie grecque: le Géant Argos Panoptès, qui possède 50 yeux qui veillent et 50 yeux qui dorment, avait été missionné par Héra pour surveiller une des amantes de Zeus transformée en génisse. Mais ayant failli, Zeus lui coupe la tête et Héra dispatche ensuite ses yeux sur les plumes du paon. Mon délire serait de raconter ce mythe et d'en faire une représentation théâtrale dans la rue avec une vraie vache blanche et un paon qui fait la roue...
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