Kanos: “Mon art confronte le cyberpunk avec l’Art Nouveau”
Stéphanie Pioda • Posté le 31 octobre 2024
Véritable globetrotter, l’artiste parisien Kanos peint sur les murs du monde entier ces nouvelles icônes cyberpunks, associant la sensualité des “femmes fleurs” de Mucha et des éléments mécaniques pour questionner le transhumanisme et les enjeux de nos sociétés du futur. Il introduit des symboles pour créer son propre vocabulaire allégorique. Visions d'un futur dystopique ou d'un film de science-fiction, la parole est donnée à l’artiste.
Pouvez-vous nous parler de votre univers artistique, comment le définissez-vous?
Je combine généralement des éléments organiques avec des éléments mécaniques pour parler de différentes problématiques, comme l'arrivée des nouvelles technologies dans notre société ou encore le transhumanisme. Ce sont les prochains défis auxquels l'humanité doit faire face et des grands thèmes que l'on retrouve avant tout dans les films de science-fiction. J'aborde alors la fusion entre l'humain et les technologies tout en questionnant le sujet de savoir comment nous allons garder notre humanité dans ce nouveau contexte. Je crée ainsi des dualités en confrontant l'organique et le mécanique, le vivant et le béton, la machine et l'homme, le naturel et de l’artificiel, l’esthétique cyberpunk et la beauté intemporelle des personnages de Mucha. Ces mélanges créent du sens et stimulent la réflexion lorsque nous y sommes exposés. Ce qui me paraît d’autant plus opportun aujourd’hui étant donné le rapide développement de l’intelligence artificielle et son impact grandissant sur notre société.
Pouvez-vous revenir sur les temps forts de votre parcours et expliquer comment vous êtes tombé dans l'Art Urbain?
Je suis né en 1983 dans la banlieue nord de Paris, où la seule imagerie qui m'a interpelé dans l'espace public était le tag et le graffiti sur les chemins de fer. Enfant, j'ai toujours dessiné et je voulais faire des peintures en grand, c'était donc pour moi une finalité. Après un bac scientifique qui m’a ensuite fait prendre de la distance avec les maths, je me suis lancé dans des études artistiques. J'ai alors fait les Beaux-Arts de Reims puis de Cambrai en section graphisme, où j'ai décroché un DNAP (Diplôme national d'arts plastiques) et un DNSEP (Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique), et c’est précisément pendant ces années d'étude que je me suis défini comme graffeur. D’ailleurs, c’est pour mon diplôme de 3e année en 2006 que j'ai développé le concept du “CelloGraff”, une approche innovante qui consistait à tendre des surfaces de cellophane dans l’espace public, offrant ainsi un support éphémère pour amener le graffiti dans des lieux inattendus. Ce qui a permis de marquer le début de ma carrière de peintre, alors que mon premier tag dans la rue remonte à 1999.
Pourquoi vous réappropriez-vous les grandes affiches publicitaires de Mucha qui ont marqué l'Art nouveau?
En effet, je reprends beaucoup de visuels de femmes de Mucha qu’il a créé au tournant du XIXe et du XXe siècle pour y ajouter ensuite mon univers par-dessus. J’ai toujours trouvé qu’elles avaient beaucoup de grâce même si elles appartiennent depuis à une imagerie révolue, qui était très parisienne et très française, alors que lui-même était tchécoslovaque. Dès mes premières compositions, j’ai ainsi trouvé intéressant de mêler l’imagerie de son univers artistique avec celle du cyberpunk, pour créer un cyber-Mucha ou Méca-Mucha. Chez Mucha, tout est allégorie donc se réapproprier ces figures est une façon pour moi de faire naître du sens par des nouvelles formes allégoriques, même si c'est sûrement moins profond que son travail car je n'ai pas la dimension religieuse ou cabalistique du grand maître de l'affiche. Néanmoins, j'y associe également des animaux symboliques, comme un poisson qui évoque la chance ou encore des éléments floraux comme une pivoine qui symbolise l'honneur, le courage.
Vous semblez aussi être inspiré par le répertoire asiatique pour ces symboles?
Oui, j'ai eu l'opportunité de voyager un peu partout dans le monde et plus précisément sur le continent asiatique qui m’a en premier lieu inspiré à créer des paysages de villes avant de me tourner vers les personnages. La ville de Hong Kong m'a tout particulièrement marqué car c'est une ville portée par une activité incroyable et remplie de matière. À chaque fois que j'y suis allé, j’en suis revenu avec un imaginaire débordant qui a beaucoup nourri mon inspiration artistique. Par ailleurs, j'ai aussi grandi avec les films hongkongais, dont ceux de Jackie Chan, qui sont graphiquement très forts, et j'ai aussi été très marqué par l’univers de la science-fiction avec en tête de liste le film d'animation “Akira” de Katsuhiro Otomo, les conceptions de Syd Mead que l’on retrouve notamment dans le fim “Blade Runner”, ou encore les bandes dessinées d’Akira Toriyama (Dr Slump, Dragon Ball) qui ont largement inspiré mes premiers dessins durant mon enfance.
Vous appartenez à 2 crews, pouvez-vous nous les présenter?
Grâce à mes réalisations dans la rue, j'ai très vite rencontré d’autres graffeurs qui étaient membres du crew ODV, un groupe d’artistes de la banlieue nord de Paris qui est devenu ma famille depuis que j'ai intégré le groupe en 2004. Puis plus tard, je suis rentré dans le crew CBS, qui est un des plus vieux crews de Los Angeles (créé en 1984), ce qui m'a alors permis de faire énormément de connexions aux Etats-Unis et de voyager à travers le monde. Ce crew compte plus de 250 membres répartis sur toute la planète, un vrai honneur pour moi!
Quel type de projets marquants avez-vous par exemple pu faire grâce à ces rencontres?
Avec Sloke, le graffeur le plus vieux en activité à Austin la capitale de l'état du Texas, nous avons lancé le concept “The Road Warriors” en 2019, dont le titre est à la fois une référence à “Mad Max” et au film “The Warriors”. L'idée est de prendre la voiture et de s'arrêter lorsque nous trouvons un spot pour peindre, en d’autres termes voiture / peinture tous les jours! Pour exemple, à l’occasion de la 3ème édition en 2023, nous sommes partis d'Austin et nous avons ensuite sillonné les routes vers Dallas, Kansas, Chicago, Dayton, Philadelphie, New York, Chattanooga pour finalement s’arrêter à la Nouvelle Orléans. Pendant 20 jours et plus de 8’000 km, on voyage, on découvre les autres, on va à la rencontre des gens et on satisfait notre besoin de peindre des murs. Pour moi, c'est ce qu'il y a de plus beau dans le monde du Graffiti. On peut aller n'importe où sur la planète et on trouve toujours quelqu'un qui est sur la même longueur d'onde que nous, qui partage son canapé et avec lequel on a la même passion.
Découvrez le profil de Kanos et ses œuvres disponibles.