Emanuele Vittorioso: "Mon art est entre Graffiti et Art Abstrait"

Emanuele Vittorioso est un artiste post-graffiti italien vivant à Syracuse, en Sicile. Ses peintures abstraites sont inspirées par le paysage urbain, l'énergie cinétique du graffiti et les artistes abstraits italiens des années 1950 et 1960. Avec eux comme références et en prenant le lettrage du graffiti comme point de départ, Emanuele Vittorioso déconstruit ses lettres jusqu'à pousser son art vers l'expressionnisme abstrait grâce à l'action painting.

Ton expérience du graffiti a eu une forte influence sur tes peintures abstraites. Quand as-tu commencé à faire du graffiti, et quelle a été ton expérience de ce mouvement underground en vivant à Syracuse?

Je suis né en 1977, j'ai donc assisté à l'essor de la culture hip-hop en Italie pendant mon adolescence. Le hip-hop est arrivé en Sicile par le biais de la musique et du graffiti, même si le graffiti n'a jamais vraiment pris racine à Syracuse. Je ne dis pas que j'étais le seul graffeur de Syracuse, mais presque... C'était plus développé dans les grandes villes siciliennes comme Palerme et Catane, mais la scène sicilienne n'avait rien à voir avec ce que j'ai connu lorsque j'ai déménagé à Milan en 1996. La scène graffiti de Milan était d'un autre niveau. Elle avait peut-être 10 ou 15 ans de retard sur la scène graffiti de New York ou de Paris, mais elle avait 10 ou 15 ans d'avance sur la Sicile. J'ai déménagé à Milan pour étudier la conservation et la restauration du patrimoine culturel à l'Académie des beaux-arts de Brera et, pendant mes études, j'ai découvert plusieurs artistes abstraits italiens des années 1950 et 1960, comme Emilio Vedova, Tancredi, Emilio Scanavino et Edmondo Bacci. J'ai trouvé de nombreuses similitudes entre les traits, le style et les abstractions de ces artistes, et mon lettrage ou, plus généralement, le wildstyle dans le Graffiti. Cela m'a inspiré pour commencer à peindre sur toile, qui est rapidement devenu mon support préféré.

Ton travail en atelier et dans la rue partagent-ils la même inspiration?

Oui, mon inspiration vient toujours du paysage urbain, de la ville, des affiches, des murs. Cependant, depuis que j'ai réalisé mes premières toiles en 2000, je me sens plus à l'aise pour peindre sur toile. Je crée à l'intersection de ces deux mondes : le graffiti et l'art abstrait.

Tu peins tes toiles à la fois au pinceau et à la bombe aérosol. Outre l'utilisation de l'aérosol et l'inspiration urbaine, quels sont les points communs entre tes graffitis et tes abstractions sur toile?

Lorsque j'ai commencé à peindre mes toiles abstraites, j'ai gardé du graffiti le concept de base consistant à écrire son nom, qui dans mon cas n'était pas un surnom mais mon véritable nom de famille, Vittorioso (qui signifie "victorieux" en italien). J'ai donc commencé à déconstruire les lettres de mon nom, en écrivant "Vittorioso" sur des toiles avec un fort mouvement de pinceau, presque rugueux, et chaque fois avec un trait plus rapide. Cette approche dynamique, l'action spontanée qui forme l'énergie de mes images, vient aussi du graffiti. Avec le temps, mes lettres sont devenues plus stylisées, plus calligraphiques jusqu'à disparaître. Et mon art est devenu abstrait.

Tu as classé tes peintures abstraites en séries nommées d'après la couleur dominante ou même l'absence de couleurs. Peux-tu nous en dire plus sur l'évolution de ton art à travers tes différentes séries?

J'ai intitulé mes séries de peintures abstraites d'après la couleur que j'utilisais le plus à ce moment-là. La première, la série Rouge, va de 2008 à 2017, au cours de ces années, j'ai utilisé beaucoup de rouge car, dans cette couleur, je voyais le dualisme parfait: le rouge est la couleur à la fois de la passion et de l'interdiction, à la fois de l'amour et de la rage. Ensuite, de 2010 à 2017, il y a eu la série bleue car, dans la perception visuelle, le bleu est la couleur des objets à proximité d'une personne immobile. Après cela, en 2016, je me suis éloigné des couleurs car, après plusieurs années d'abstractions colorées sur des toiles, j'avais envie d'essayer quelque chose de différent. J'ai donc embrassé le monochrome, et j'ai peint en noir et blanc pendant un certain temps, mais lorsque la pandémie a frappé et que le monde est entré dans une période sombre, j'ai ressenti à nouveau le besoin d'utiliser des couleurs, bien que maintenant mes peintures abstraites se vantent d'une large gamme de couleurs, il n'y a pas de couleur qui prévaut sur les autres.

Tu es spécialisé dans la conservation et la restauration du patrimoine culturel. Que penses-tu du débat actuel sur la restauration de l’Art Urbain en Italie et à l'étranger? Le graffiti et le street art sont-ils destinés à disparaître dans le paysage urbain ou faut-il penser à la conservation et à la restauration de l'Art Urbain?

J'ai toujours considéré le graffiti et le street art comme des formes d'art éphémères. Il est vrai que le mouvement est né il y a 50 ans et qu'il a beaucoup évolué au fil des décennies: des expressions illégales et clandestines dans les rues à ce que nous appelons aujourd'hui l'Art Urbain Contemporain. Il est donc légitime de penser que certaines pièces ont une valeur historique et doivent donc être préservées. Cependant, le graffiti et le street art se sont répandus en tant que phénomène underground, donc, à mon avis, ces créations constituent dès le départ des créations temporaires et éphémères. Ainsi, plutôt que d'envisager leur restauration, je suis plutôt pour la sauvegarde et la protection de ces œuvres d'art dans l'espace public, par exemple en empêchant les interventions d'arrachage comme le "strappo" en italien, une procédure radicale qui décolle littéralement la peinture murale du mur, qui jusqu'à présent a été utilisée pour la conservation dans les musées et pour vendre aux collectionneurs une pièce qui était destinée à être dans les rues.

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