Art Urbain: les différentes techniques et styles du Graffiti
Sarah Guilbaud • Posté le 15 mai 2024
Tags, throw ups, masterpieces, 3D… Il existe une multitude de techniques et de termes spécifiques au monde du Graffiti. Découvrez notre rapide tour d’horizon du langage et des styles les plus représentatifs de ce domaine autrefois réservé aux initiés.
Le tag
Passage normalement obligé pour tout graffeur, le “tag” constitue le point de départ du mouvement Graffiti. Véritable signature composée de lettres stylisées qui forment un nom (le pseudonyme de l'artiste ou son crew), le tag est réalisé à toute vitesse, en utilisant le plus souvent une seule couleur, et il peut être de petite ou grande taille en fonction du matériel utilisé. En effet, ce dernier a commencé à l’aide de feutres, marqueurs et crayons pour prendre peu à peu de la grandeur grâce aux bombes aérosols, pinceaux et autres rouleaux comme pour les Pixação au Brésil. Car, à São-Paulo aussi, l’alphabet a été déformé et l’utilisation de rouleaux a permis d’atteindre des hauteurs habituellement inaccessibles. Les tags s’affichent de manière massive et visible au plus grand nombre par cette technique, tandis que le tag au marqueur ou à la bombe aérosol est travaillé sur un plan plus calligraphique et stylisé. Certains sont parfois illisibles et nécessitent d’être décodés, déchiffrés par les plus initiés. Les taggueurs comme on les nomme, ne cessent de rivaliser, d’inventer de nouvelles formes, de jouer avec les lettres, les déformer, les étirer pour offrir un langage qui a évolué au fil du temps et qui continue à nous surprendre.
Le throw up ou flop
Pensé comme une version plus sophistiquée du tag et surtout plus visible, le “throw up” ou “flop” est un lettrage exécuté tout aussi rapidement mais qui reprend le nom du graffeur (ou “writer”) en plus volumineux. Le but est de se faire connaître avec un style plus impressionnant car les lettres sont plus grandes. Le taggeur utilise généralement deux couleurs, une pour le remplissage des lettres et une pour le contour. La lettre est transformée avec une mise en volume, souvent réalisée à travers un style que l’on caractérise de “bubble”. Ce style se positionne finalement entre le tag et la pièce puisqu’il permet d’être réalisé en quelques minutes sur un camion, un store métallique d’un magasin ou tout simplement un mur, tout en ayant la même portée qu’une pièce de graffiti. On attribue généralement la paternité de ce style aux artistes graffeurs new-yorkais de la première heure qui ont rivalisé d’ingéniosité dans les années 70 en utilisant cette technique pour obtenir le titre honorifique d'All City King (Roi de la ville), soit le graffeur le plus visible aux 4 coins de la ville qui obtient une grande reconnaissance dans le milieu.
Le block letter ou blockbuster
Dans la continuité du throw up mais avec une visibilité bien plus grande encore, on distingue la technique du “block letter”, aussi appelé “blockbuster”, qui se caractérise par une composition de lettres massives en bloc, et qui est réalisée en deux couleurs pour mieux se faire remarquer. L’utilisation de carrés et de rectangles permet un lettrage compact, lisible et souvent de très grande dimension. L’objectif étant de couvrir rapidement de grandes surfaces et d’atteindre des zones difficiles d’accès, comme les toits ou les murs des voies ferrées, ils sont le plus souvent réalisés au rouleau pour plus de rapidité. Sans avoir un design complexe, les block letters ont toutefois la particularité d’être vus de loin et c’est pourquoi ils sont placés proches des autoroutes et axes ferroviaires pour un impact maximal auprès du plus grand nombre. Certains peuvent même transmettre un message fort en fonction de l’emplacement où ils sont réalisés. Et s’ils viennent couvrir l’intégralité d’un wagon de train on parle de “whole car”, et de “whole train” si c’est un train en entier!
La pièce et la masterpiece
À la différence des throw ups et blockbusters, la “pièce” et la “masterpiece” sont un ensemble de lettres beaucoup plus complexes et sophistiquées, et qui peuvent parfois être accompagnées d’éléments graphiques additionnels. Ce sont des œuvres de grande envergure, qui peuvent prendre la totalité de la surface d’un mur et qui prennent donc beaucoup plus de temps à réaliser qu’un tag ou un flop. C’est notamment une occasion pour les graffeurs de pouvoir travailler davantage leur technique en utilisant différentes formes et couleurs, tout en profitant d’organiser des “jams” pour partager ce moment avec d’autres artistes. Raison pour laquelle ces derniers se font généralement dans des terrains vagues à l’abri de tous, des lieux autorisés ou encore lors de festivals et commandes publiques. Ces œuvres murales qui peuvent prendre la forme de chefs-d’œuvre XXL permettent aussi aux artistes d’obtenir la reconnaissance de leurs pairs grâce à leur maîtrise et il est indéniable qu’elles ont également ouvert la voie à la commande de fresques murales.
Le wildstyle et semi-wildstyle
Parmi les différents styles qui s’exposent en grand format, un des plus emblématiques et certainement celui que l’on nomme le “Wildstyle”, apparu dans les années 70-80 à New York et qui n’a cessé de se complexifier avec le temps. Ici, les lettres effilées s’entremêlent entre elles et de nombreux éléments graphiques viennent s’imbriquer dans la composition selon l’effet recherché par le graffeur, tels que des flèches, des pointes, des empattements et des jeux d’ombre. Si bien qu’à la fin, cet ensemble compact devient quasiment illisible et il est très difficile d’identifier les lettres qui le compose. Ce style sauvage est donc compliqué à lire pour les non-initiés par ses nombreux effets de profondeur et d’épaisseur mais il ne doit pour autant pas être confondu avec le style 3D qui a fait ses débuts dans les années 90. Parmi les artistes les plus représentatifs de ce style audacieux et spectaculaire, on note avant tout l’artiste Tracy 168 qui en serait l’initiateur et Phase 2 mais également des artistes internationaux plus contemporains tels que Bates, Chips, Taste, Mist, Cren et Zurik.
Le style 3D et l’anamorphose
Bien que le wildstyle fasse appel à des éléments de profondeur, il est toutefois différent d’un autre style majeur dans le Graffiti qui est celui du “style 3D”. Véritable évolution du graffiti développée par Erni Vales, le 3D consiste à intégrer de la perspective aux lettres pour leur donner une impression de volume et obtenir une illusion de tridimensionnalité à la fin. Utilisant différentes variations de couleurs pour le fond, le contour et le remplissage des lettres, la maitrise de l’artiste prend ensuite toute sa forme par le biais du contraste entre ombres et lumières qui donne l’impression que le lettrage flotte. Cette pratique a également été poussée par certains artistes pour donner naissance à un autre style qui est celui de l’anamorphose. Permettant de réaliser de véritables trompe-l’œil, cette technique permet littéralement aux œuvres murales de prendre vie car elle donne l’impression que la composition sort de la surface sur laquelle elle est peinte. Les artistes les plus marquants du graffiti 3D sont Daim et Peeta, sans oublier Odeith, Leon Keer et Scaf pour l’anamorphose.
Le cartoon et les personnages
Plus particulièrement adapté à ceux qui pratiquent le dessin au préalable, le style “cartoon” fait référence à la réalisation de personnages à la bombe aérosol. Qu’ils soient directement inspirés de dessins animés et de films issus de la culture populaire, ou directement créés à partir de l’imagination des artistes, les personnages permettent d’apporter de la vie aux lettrages. Bon nombre de graffeurs ont ainsi pris l’habitude d’intégrer des personnages ou même de remplacer une des lettres de leur pseudonyme par un personnage pour apporter une touche humoristique à leurs compositions. On pense notamment aux personnages iconiques Puck et Cheech Wizard du dessinateur de bandes dessinés Vaughn Bodé qui ont été repris par les artistes de la première heure à New York et qui ont largement contribué au développement de ce style. D’autres artistes en ont aussi fait leur spécialité, que ce soit de manière singulière ou pour accompagner les créations d’autres artistes plus orientés sur le travail de la lettre et apporter une scénographie à leur composition commune.
Au fil des décennies, les artistes ont ainsi développé différentes techniques, sans cesse renouvelées et parfois poussées à l’extrême. À titre d’exemples, certains artistes remplissent même des extincteurs d’incendie avec de la peinture pour réaliser d’immenses lettrages, quand d’autres utilisent de l’acide pour apposer leurs tags de manière pérenne! La liste des techniques et styles dans le monde du graffiti est donc riche et longue. Et nous aurions également pu mentionner le style “Old school” qui fait référence au début du graffiti, le style “ignorant” qui s’affranchit des critères habituels de précision dans le graffiti, le style “abstrait” qui ne comporte plus aucune lettre ou encore le style “réaliste” qui est particulièrement adapté pour les trompe-l’œil…