Art Urbain: les pratiques et techniques du Street Art
Sarah Guilbaud • Posté le 18 juin 2023
Les pratiques et techniques du Street Art sont très vastes: pochoirs, collages, stickers, mosaïques, installations, détournements de panneaux de signalisation… en font notamment partie. Explications.
Le pochoir
Les pratiques et techniques du Street Art sont diverses et variées. Mais le pochoir est cependant le premier mot qui vient à l’esprit! En France, il apparaît au début des années 1980 même si, dès 1966, Ernest Pignon-Ernest en réalise sur le plateau d’Albion: contre l’installation d’un arsenal atomique, il dénonce les effets des bombes, en reprenant la silhouette d’un homme calciné par l’éclair atomique à Hiroshima. Il crée à cet effet un pochoir dont il laisse l’empreinte sur les murs des maisons et les roches. Une nouvelle forme d’expression est née: on parle alors de pochoirisme. À Paris, cette technique qui se veut simple au début, un patron en papier ou carton qui est découpé de formes nettes par lequel on applique de la peinture en bombe aérosol ou au rouleau enchante très rapidement! Dans les années 80, les murs de la capitale sont remplis de graffitis mais des artistes comme Blek le Rat se différencient en imposant leur style. Epsylon Point, Nemo, Jef Aérosol, Miss.Tic, Artiste Ouvrier, puis C215… suivent et marquent les esprits avec des détournements d’œuvres célèbres ou des portraits de personnalités internationales. Banksy aussi! Ce média, vieux comme le monde, permet ainsi de proposer des œuvres précises qui vont peu à peu se complexifier avec le temps grâce à l’utilisation de plusieurs pochoirs et donc plusieurs teintes pour une même œuvre. L’avantage de cette technique, c’est aussi que le pochoir se transporte facilement et qu’il peut être reproduit plusieurs fois, rapidement. Ce qui explique notamment pourquoi cette technique est aujourd’hui très répandue et toujours très populaire auprès des artistes urbains, que ce soit pour réaliser des œuvres à part entière au pochoir ou tout simplement pour rajouter des éléments graphiques dans une œuvre mêlant plusieurs techniques.
Le collage
D’un autre côté, le collage, autre technique bien connue en France qui est directement inspirée de l’affichage public. Ernest Pignon-Ernest fait à nouveau figure de précurseur dès le début des années 1970 lorsqu’il réalise des représentations humaines grandeur nature qu’il reproduit ensuite en sérigraphie. Il les colle alors sur les murs des villes puis dans de nombreuses villes du monde entier. Son portrait de Rimbaud fait date et est d’ailleurs aujourd’hui repris en tant qu’hommage par de nombreux street artistes. Mais le collage (ou “paste up” en anglais) est une technique complexe: il ne suffit pas d’imprimer simplement des feuilles avant de les coller sur les murs. La qualité du papier doit être particulière car il doit parfaitement pouvoir s’adapter au support. Une attention particulière est aussi portée à la colle qui est composée d’amidon de blé pour une meilleure tenue sur les murs. Parmi les collages, l’affiche (ou “poster” en anglais) est également un moyen de communication simple et efficace. Après la vague de mai 68 et ses fameuses affiches politiques, les artistes se sont réapproprié cette technique dans les années 80, et se font depuis remarquer via des créations de plus en plus grande. Une technique qui se veut aussi moins risquée pour les artistes puisqu’un collage s’enlève facilement, contrairement à un pochoir ou un graffiti, ce qui en fait une forme d’art bien plus tolérée par les autorités. De nos jours, on peut notamment citer le travail des artistes JR qui colle des photographies monumentales dans le monde entier, Levalet qui compose de véritables scènes avec son personnage et Madame qui se distingue avec ses œuvres réalisées en petits formats qui sont ensuite numérisées et imprimées en très grands formats avant d’être collées dans les rues.
Le sticker
Autre forme d’art très répandue dans le domaine du Street Art: les stickers (ou “sticker art” en anglais), qui n’est autre que l’art d’apposer des autocollants dans la rue! Tout comme pour le pochoir, il est facile pour les artistes de se déplacer avec des autocollants avant de les apposer partout dans l’espace public. C’est également moins dégradant que la bombe aérosol ou la peinture. Les gouttières, boîtes aux lettres, poteaux, panneaux de signalisation… en voient donc de toutes les couleurs car de plus en plus d’artistes utilisent cette technique, venue des États-Unis. Il n’y a en effet rien de plus simple que de sortir de son sac une pile d’autocollants conçus à domicile ou imprimés sur un support en vinyle par des sociétés qui les produisent, et de les coller rapidement là où ils seront les plus vus. Le plus souvent d’ailleurs, cette pratique s’inscrit en complément d’autres techniques pour augmenter la visibilité d’un artiste dans des emplacement inattendus. Ce qui est notamment le cas des tagueurs et graffeurs qui ont depuis longtemps détourné les autocollants “Hello My Name Is” pour apposer leurs signatures (blazes) et les coller ensuite sur les meilleurs spots. Mais le premier à s’être réellement fait remarquer avec cette forme d’art fut Shepard Fairey (aussi connu sous le nom d’Obey) qui colla en 1989 son premier autocollant du personnage André le Géant dans les rues de Providence (Rhode Island) avec comme message “Andre the Giant Has a Posse”. L’avenir caractérisera son travail comme la première œuvre d’art sous forme d’autocollant, développant ainsi une des catégories les plus fondamentales du mouvement de l’Art Urbain.
La mosaïque
Le Street Art, c’est aussi et encore la mosaïque, qui ne date pas d’hier non plus! À l’époque greco-romaine, on créait déjà de véritables fresques avec cette technique qui consiste à assembler de petits carreaux ou morceaux de céramique, afin de produire une image dans son ensemble ou un motif sous forme de pixel art. Cette esthétique pixelisée donne de l’inspiration et des idées à de nombreux artistes à travers le monde pour créer des visages, des personnages, des mots et varier les couleurs grâce à l’utilisation de différents matériaux. Evidemment, parmi eux l’artiste Invader, qui s’est inspiré du jeu vidéo “Space Invader” pour créer des mosaïques depuis la fin des années 1990 et qui ont depuis fait l’objet d’une invasion mondiale! Il a même lancé l’application mobile “Flash Invaders” en 2014 qui permet de flasher les Invaders croisés aux quatre coins du monde pour gagner des points et faire valoir son classement auprès des autres (près de 240'000 utilisateurs). Mais ce pionnier du “pixel art” adapté à la rue a aussi fait naître des vocations: il n’est plus rare désormais de retrouver des mosaïques en tout genre réalisées par d’autres artistes dans les rues du monde entier. On peut notamment mentionner l’artiste MifaMosa d’Orléans qui illustre le nom des plaques de rues avec ses compositions, mais également les artistes lyonnais In the Woup avec le projet Mario Worldz, ou encore l’artiste Ememem qui utilise les déformations du bitume et autre trou sur la voirie pour composer des flaques de carrelage (aussi appelé “Flacking” en anglais) et embellir l’espace urbain. Impossible également de ne pas mentionner le travail de Johan Karlgren, alias Pappas Pärlor, qui agrémente les rues avec ses amusantes créations en pixel art inspirées de la culture pop.
L’installation de rue
Les installations sont également de plus en plus présentes dans la rue. À l’inverse du Graffiti et autres œuvres de Street Art qui sont directement réalisées sur les murs, les installations font appel à des sculptures ou objets variés en 3D qui sont préparés en amont et qui sont ensuite installés dans l’environnement urbain. Ces derniers ont pour objectif d’interagir avec l’espace public et d’interpeler les passants pour déclencher une réaction. Les plus impressionnantes sont sans doute celles de l’artiste américain Mark Jenkins qui a développé une technique consistant à mouler des formes humaines grandeur nature avec du ruban adhésif transparent et à les habiller avec de réels vêtements pour une impression de réalisme qui ne laisse personne indifférent. Les figurines humaines du street artiste espagnol Isaac Cordal ne laissent pas indifférents non plus. Il créé des petites figurines en béton qu’il installe dans les rues et photographie ensuite pour recréer des scènes de vie à l’état miniature. Enfin, en France, c’est avant tout Gregos qui s’est fait connaître dès le début des années 2000 avec des moulages de son visage aux humeurs variées qu’il peint de différentes couleurs et qu’il colle directement sur les murs des villes. Puis c’est l’artiste toulousain James Colomina qui marque les esprits avec des sculptures de personnages rouges réalisées à partir de moulages corporels qu'il dispose de manière sauvage à des emplacements stratégiques pour dénoncer et questionner notre société de manière décalée et impactante.
Le tape art
Le Tape Art (ou “art du ruban” en français), technique qui consiste à réaliser des œuvres, des installations ou des performances à l’aide de différents types de rubans adhésifs, s’est également répandu dans les villes. Ainsi, qu'il soit opaque avec du ruban adhésif toilé et qu’on le nomme “Duct tape art”, ou réalisé à partir de scotch d'emballage marron et qu’on l’appelle “Brown tape art”, cette nouvelle forme d’expression artistique s’est développée depuis la fin des années 80 aux États-Unis comme une alternative à l’utilisation des bombes aérosols. Son principal avantage étant que le ruban adhésif est facile à manipuler, rapide à installer et peut soit être éphémère en fonction du ruban utilisé, soit rester pérenne pour les scotchs qui résistent aux températures extérieures. Le premier à avoir utilisé la technique du Brown tape art se nomme Mark Khaisman, artiste ukrainien désormais basé à Philadelphie, qui a commencé à superposer du scotch brun sur une plaque de plexiglas en jouant avec l'opacité et la densité des couches pour composer des tableaux avec une teinte sépia. Mais c’est le Hollandais Max Zorn qui a véritablement étendu ce concept à la rue en accrochant ses portraits aux lampadaires des villes du monde entier. Quant au Duct tape art appliqué à la rue, on pense avant tout au travail de l’artiste autralien Buff Diss qui s'exprime autant sur les murs que sur le sol et au collectif allemand Klebebande qui réalisent des compositions étonnantes en utilisant aussi la bombe aérosol.
Les autres techniques
Les pratiques énumérées précédemment sont les plus représentatives du Street Art, mais il existe bien sûr encore de nombreuses autres techniques, tant l’univers de l’art urbain fourmille de diversité. Il est d’ailleurs impossible de ne pas mentionner le détournement de panneaux de signalisations, dont l’artiste français Clet Abraham en est la figure de proue. Ce dernier utilisant la signalétique urbaine comme outil pour communiquer avec les passants, un art poétique à destination de tous. Ou encore la projection vidéo qui est en pleine expansion depuis le début des années 2000 et qui permet de projeter une œuvre à grande échelle sur des façades via la technique du “vidéo-mapping”. Une forme de Street Art parmi les plus spectaculaires mais néanmoins la plus éphémère, avec pour exemple le travail remarquable de Philippe Echaroux. Dans un tout autre registre, on peut également citer le Yarn bombing (aussi appelé tricot urbain) qui consiste à recouvrir les arbres ou le mobilier urbain par du tricot coloré pour embellir les espaces publics (statues, bancs, escaliers, vélos, ponts, autobus...). L’artiste la plus marquante de cette forme d’expression artistique étant sans aucun doute Magda Sayeg qui fut la première à avoir l’idée de recouvrir la porte de sa boutique en 2005! Mais ce n’est pas tout, il serait encore possible d’énumérer le light painting qui mêle performance artistique et photographie, l’art miniature qui consiste à intégrer des personnages infiniment petits dans l’environnement urbain pour les mettre en scène… et bien plus encore.
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